L'invité du mois : Patrick Hendrick, de l'ULB

Professeur à l’ULB, Patrick Hendrick y dirige le département ATM (Aéro thermo mécanique), un laboratoire d’une cinquantaine de personnes. Également professeur invité à la KUL et à la Haute École Condorcet, notre invité du mois est très impliqué dans la recherche liée à la conversion énergétique des avions, notamment l’utilisation de l’hydrogène, et dans le développement technologique des drones. Un œil averti pour remettre un avis sur l’aéronautique post-Covid…

L’hydrogène revient visiblement à la mode…

Effectivement, pour de bonnes ou mauvaises raisons, on a énormément parlé de l’hydrogène, ce qui est assez surprenant. Le Covid a ressuscité toutes les idées enfouies sur l’hydrogène. Dès avril-mai de l’an dernier sont sorties les grandes idées de Macron et Merkel sur les avions à hydrogène qui  a fait partie intégrante du plan de relance européen dès le début. Cependant, au point de vue technologique, beaucoup reste à faire, et l’Europe peut prendre une place que les autres n’occupent pas encore. 

L’hydrogène est le futur de l’aviation ?

C’est un fait qu’il va y avoir dans l’aéronautique une vaste compétition dans la recherche sur les carburants synthétiques, ce qui aura l’avantage de ne pas changer trop la technologie actuelle de propulsion des avions moyens et longs courriers. Mais il faudra produire ces carburants de manière verte, donc il faudra de l’hydrogène. Je rappelle que ce carburant est basé sur l’hydrogène et du CO2 capturé. A priori, ce ne sera donc pas directement de l’hydrogène dans l’avion.

Aujourd’hui la concurrence s’installe aussi sur l’électrification. On envisage des courts courriers, pas trop volumineux, qui seraient entièrement mus par l’électricité. Sur ces avions, il est possible d’avoir à bord des piles à combustibles avec donc l’hydrogène comme carburant.

On pourrait également voir apparaître le remplacement des APU (Auxiliary power unit) par des piles à combustible. Le problème, c’est que cette technologie modifie considérablement la conception de l’avion. Mais c’est possible.

L’hydrogène va donc d’une manière ou d’une autre influencer l’aviation civile, que ce soit à travers les APU, à travers la petite aviation, à travers un système hybride… Pour les gros avions de ligne, je pense que c’est le carburant synthétique s’imposera, et pas directement l’hydrogène. En effet, nous connaissons là un problème technique de stockage de l’hydrogène liquide, qui de plus est pour le moment très cher. 

Comment s’effectuera l’électrification des avions ? 

Pour l’électrification de l’avion et de ses moteurs, on va voir apparaître des composants plus électriques. Les pompes à carburant, les pompes à huiles, les vannes et autres capteurs seront plus électriques. Cela permet de découpler le fonctionnement mécanique du moteur et de tous ses accessoires avec une fonctionnement électrique. Aujourd’hui, tous ces accessoires sont entraînés par l’arbre-moteur avec ses démultiplications. Donc, quand le moteur est à bas régime, ces engins sont également à bas régime ; et évidemment quand le moteur est à haut régime, ces engins sont également à haut régime. On n’a aucune flexibilité. 

On se dirige donc vers les fonctions secondaires électrifiées. Il faut évidemment générer la puissance électrique : on aura de gros alternateurs entraînés de manière mécanique par l’arbre-moteur puis après on distribuera la puissance où et surtout quand c’est nécessaire. 

Peut-on dresser un parallèle avec l’évolution de la voiture, mieux connue ?

L’analogie avec la voiture est en quelque sorte inversée… Dans l’industrie automobile, la batterie est plus efficace sur les courtes distances tandis que l’hydrogène est plus favorable sur les longues distances. Mais les comparaisons ne sont pas identiques : en aviation, c’est l’hydrogène contre le kérosène tandis que en automobile c’est l’électricité contre l’hydrogène. Les batteries en aviation ne sont possibles que sur les tout petits appareils. Un A320 électrique volant entre Bruxelles et Marseille, c’est possible… mais sans passager ni fret, juste des batteries qui occuperaient toute l’espace intérieur. 

Justement, à propos de fret, que penser de la solution du dirigeable ? 

Ce moyen de transport présente d’indéniables attraits. Mais le problème, c’est sa vitesse, qui sera toujours limitée. Ce problème peut être compensé si le coût d’utilisation à la tonne est vraiment très faible. Autre souci : le soutien du dirigeable dans le monde industriel  et économique est relativement limité. Seul Flying Whales, en France, est parvenu à mobiliser quelques centaines de millions d’euros. Mais il faudrait beaucoup plus que cette somme pour que ce concept soit un succès. Il faudrait vraiment faire un effort et investir dans bon nombre de technologies de base, en allant vers des modes de propulsion propres – combustibles, piles à hydrogène – mais le delta à réaliser est important. Et va-t-on combler le vide technologique avant d’avoir un projet rentable. Ce n’est en tout cas pas une priorité pour l’Europe, ni pour les USA.

Ce mode de transport manque donc de crédibilité ? 

Ni Airbus, ni Boeing, ni d’autres acteurs aéronautiques ne s’impliquent réellement dans le créneau en tout cas. Ca vaudrait la peine de voir un effort conjoint pour investiguer la technologie en profondeur, sans dépenser des milliards. Il existe des données éparses ; ce serait intéressant de les réunir et les étudier. Surtout qu’on note des progrès technologiques qui pourraient être utiles. Prenons les matériaux textiles : il existe des textiles hyper léger qui pourraient être utilisés pour l’enveloppe du dirigeable.

Autre piste sérieuse de renouvellement : les drones… 

Comme pour les dirigeable, le milieu reste très disparate. Et c’est difficile de voir une structuration au niveau européen tellement le secteur est dominé par les Chinois, qui, hors marchés militaires, vendent 90% des drones au niveau mondial. Le drone est aujourd’hui vu comme un objet récréatif. Or, la situation évolue rapidement, notamment par rapport à l’hyper connectivité. Les drones peuvent remplir des missions utiles pour les services d’urgence, pour des livraisons, pour la surveillance dans des endroits difficiles d’accès… Les drones peuvent également servir contre les attaques de drones, qui représentent un vrai risque. 

Le monde du drone en Europe va se développer. La difficulté est que les entreprises qui ont envie de se lancer dans le domaine sont difficilement viables, vu l’extrême domination chinoise actuelle. Et les Chinois produisent à des coûts dix fois moindres qu’ici. 

Mais il reste beaucoup à faire, et surtout sur des drones de type avion. Essentiellement pour le transport. Par rapport au drones avec rotors, ils ont une charge utile largement supérieure et ils volent beaucoup plus vite. Ce principe est actuellement peu développé. Et ces drones devront être intégrés aux vols habités.

Le développement des drones pourrait avoir un avenir en Wallonie ?

Comme pour l’hydrogène, il y a moyen de faire son trou, de développer des niches de qualité qui peuvent amener du business. Prenons l’exemple des pompiers. Ils rêvent de disposer de drones pouvant explorer sans risques les endroits dangereux avant ou pendant une intervention. Imaginons un appel pour un incendie : le drone quitte immédiatement la caserne, arrive plusieurs minutes avant les équipes d’intervention et peut déjà faire un rapport de la situation, indiquer où se trouvent les foyers, ou s’il y a d’éventuelles victimes… Ce genre de projet n’est actuellement pas développé. Et les quelques produits chinois qui existent ne sont pas efficaces. 

Nous avons en Wallonie Flying Cam, une excellente société, avec un produit unique. Il faut reproduire des Flying Cam dans d’autres niches… Des dizaines, voire des centaines d’emplois sont possibles.

Le drone à hydrogène évidemment. Le gros problème actuel, c’est l’autonomie, avec des batterie de quinze-vingt minutes maximum. Il faut augmenter cette autonomie, avec une pile à combustible. Cette technologie peut être très légère, avec des petits réservoirs, et permettre plus de deux heures d’autonomie. 

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