Le portrait du mois : Nicolas Baijot, de Dardenne

Après des études d'ingénieur électromécanicien à l'Université de Liège et des passages, entre autres, chez Hexcell Composites et Britte, Nicolas Baijot, associé à Jean-Marc Bricteux pour le côté financier, reprend Wouters Tecnolub en 2013 puis Dardenne en 2015. 

Leur but est clairement de redynamiser l'industrie locale, en continuant à faire vivre la mécanique qui a fait la renommée de la région.  Avec Dardenne, certifiée EN9100, les associés partent à la conquête du marché français, sans oublier les acteurs belges. 

Dany Dardenne fonde sa société éponyme en 1978. Seul au début, il a su démontrer son savoir-faire dans la réalisation de prototypes, outillages de précision, calibres, pinces matrices ou encore moules d’injection. Puis l’entreprise s’est agrandie, tant au niveau humain que technique, et les marchés se sont multipliés…

Pendant ce temps, Nicolas Baijot, probablement un des derniers Liégeois à voir le jour à l’hôpital de Bavière,  en décembre 1969, grandit dans la république libre d’Outremeuse, poursuit ses humanités au collège Saint-Louis, puis des études d’ingénieur civil électromécanicien à l’Université de Liège, dont il sort en 1994. 

Le jeune diplômé entre alors chez Glaverbel, Splintex à l’époque, qui entrera dans la galaxie AGC Automotive. Il y restera cinq ans. Avant de rejoindre Hexcel Composites, à Welkenraedt, et faire ainsi ses premiers pas dans l’aéronautique. En effet, selon sa propre définition, l’entreprise est « l’un des leaders mondiaux de la fabrication de fibres de carbones, de nids d’abeille et autres matériaux pour l’industrie aéronautique. » Nouveau bail de cinq ans. Son parcours le mène ensuite à Britte, à nouveau dans l’aéronautique. Il y découvre la mécanique de précision, et en dirige la production entre 2004 et 2006. 

S’ensuit une infidélité au secteur puisque Nicolas Baijot rejoint Schréder, la multinationale wallonne active dans l’éclairage public. « Je suis arrivé au moment d’une transition dans un groupe international – quarante sociétés partout dans le monde. J’occupais un rôle global de directeur industriel pour l’ensemble des sociétés du groupe »précise Nicolas Baijot. Et cette transition, c’est le passage de l’ampoule à décharge aux leds. « C’était vraiment très intéressant de voir comment tous les processus de la société ont dû être remis en question. Car on n’achète pas des composants électroniques comme on achète des composants électrotechniques ; et on ne fabrique pas des appareils contenant des composants électroniques comme on fabrique des appareils électrotechniques… Tous les processus de recherche, de fabrication de supply chain… ont dû être revus fondamentalement. Une révolution pour l’ensemble du groupe. J’ai pu vivre ça de l’intérieur et c’était vraiment très intéressant. Même si c’était également très difficile pour l’ensemble du personnel. »

Puis, en 2011, Nicolas Baijot rencontre Jean-Marc Bricteux, et ensemble ils vont former une binôme gagnant : « Jean-Marc travaille le côté financier : obtenir les moyens et les capitaux pour racheter des entreprises. Moi, j’assume le côté technique et opérationnel. Toujours dans le cadre de projets locaux de reprise de sociétés, dans l’optique de redynamisation de ma région. Depuis que je suis sorti des études, j’avais en tête ce petit rêve un peu fou d’avoir un jour mon atelier de mécanique. »  

La première opportunité se présente rapidement. Le duo reprend en 2013 Wouters Tecnolub, fruit d’une fusion entre les établissements Wouters, nés en 1926, et Tecnolub, qu’avait fondé Raymond Blaise en 2008. Wouters Tecnolub occupe une quinzaine de personnes dans le zoning des Plénesses, à Thimister (Verviers). « En 2015, j’ai suggéré à mon associé de trouver une autre société à reprendre, poursuit Nicolas Baijot, car les activités s’étaient développées chez Wouters et nous étions à court de main-d’œuvre et de moyens. Soit nous mettions en place un grand plan d’investissements avec des achats de machines tout en essayant de trouver des techniciens qualifiés, ce qui peut être assez compliqué en Wallonie ; soit nous cherchions une société à racheter. L’occasion s’est présentée assez vite avec le dossier Dardenne, que je connaissais de réputation de l’époque où je travaillais chez Britte. Quand j’ai rencontré pour la première fois Danny Dardenne, mon avis sur la qualité de l’entreprise et des ses employés n’a pu que se confirmer. On s’est très vite très bien entendu, tant au point de vue humain que technique. Et c’est ainsi que les choses ont pu s’articuler. »  

Nicolas Baijot succède immédiatement au fondateur de Dardenne, mais en douceur… « Danny Dardenne est resté un an dans la société. Avec mon associé, nous menons toujours des rachats avec une transition assez lente. Nous nous inscrivons en fait dans la continuité de la société, dont nous ne changeons pas le nom. Dans le cadre de Wouters, l’idée était de redynamiser l’entreprise, de lui donner les moyens de croître ; chez Dardenne, c’était plutôt assurer la continuité et faire face aux grosses commandes de l’époque » précise le CEO. 

En effet, Dardenne était déjà à ce moment fournisseur chez Safran Aero Boosters. « Nous fournissions des pièces pour le Leap et nous étions en pleine croissance. En fait, nous avions même du mal à suivre la cadence… Nous sommes passés par trois années très compliquées, notamment sur les délais. Avec beaucoup d’engagements, et beaucoup d’investissements, notamment dans de nouvelles machines. On ne se pose pas trop de questions quand les commandes sont là. » Mais le Leap connaît des ratés avec les problèmes de Boeing et son 737 Max. 

Autre problème, le coronavirus, qui sévit au moment de cette interview : « je me pose actuellement des questions sur l’impact du coronavirus sur l’économie : s’il faut renvoyer tous les ouvriers chez eux parce que un ou deux d’entre eux sont touchés, nous serons en grande difficulté. Le contexte économique est compliqué… 2020 sera une année compliquée pour nous, avec des perspectives moins bonnes que les années précédentes. Mais je reste foncièrement optimiste » sourit le patron. Un patron qui voit des opportunités dans la difficulté : « D’un point de vue stratégique, l’idée est d’attaquer avec Dardenne les donneurs d’ordres français. Nous commençons d’ailleurs à fournir des pièces en direct pour Ariane Groupe. Ainsi, nous réduirons la dépendance de Dardenne à Safran Aero Boosters, qui nous occupe à 75% environ. C’est lié à l’histoire de Dardenne. Quand le Techspace Aero de l’époque, un voisin distant de quelques kilomètres, a compris qu’il pouvait travailler en confiance avec Dardenne, les commandes se sont succédé et il n’a pas été nécessaire de chercher des clients ailleurs. Cette situation n’est saine ni pour Dardenne, ni pour Safran Aero Boosters. Nous devons donc nous diversifier. Et, paradoxalement peut-être, le coup d’arrêt que nous vivons sur le Leap va nous permettre d’aller décrocher d’autres clients. Parce que quand votre client principal sature vos moyens de production, vous n’avez pas le temps de démarcher… » Autre piste : les autres acteurs aéronautiques belges, comme la Sonaca ou la Sabca. Ou même Asco. Et toute la galaxie Safran du côté français. « En deuxième ou en troisième ligne ; je n’ai pas d’exigence particulière. Mais je souhaite rester dans un certain niveau de technicité des pièces. » Des pièces au centième ou au micron qui demandent un savoir-faire incontestable. 

Nicolas Baijot et Jean-Marc Bricteux sont donc à la tête de deux entreprises actives dans le même secteur, la mécanique. Fusion en vue ? « Pas de rapprochement, ni a fortiori de fusion, mais des synergies entre les deux,affirme le CEO. Wouters est ISO9001 et n’a pas de qualification pour l’aéronautique. Nous tirons profit de la ‘légèreté’ de Wouters au niveau des coûts. En clair, nous pouvons produire meilleur marché s’il n’y a pas d’exigences aérospatiales. C’est évident. Par contre, quand il faut déployer l’artillerie lourde en termes de qualité, de traçabilité, de gestion documentaire… Dardenne, certifiée EN9100, est structurée pour le faire. » Et de citer l’exemple d’un informaticien qui se partage occasionnellement entre les deux sociétés. Autre trait d’union, le CEO lui-même évidemment, qui fait également office de commercial, et dirige les contrats vers l’une ou l’autre. 

Vu le domaine d’activité de Dardenne (et Wouters), une question s’impose : quid de l’additive manufacturing ? « Je surveille de très près ce processus. Pour le moment, nous effectuons parfois des travaux de finition sur des pièces imprimées par Safran Aero Boosters. Deux de mes ingénieurs travaillent également sur l’additive manufacturing, sur des pièces en plastique. Pas encore à partir de poudre métallique…L’additive manufacturing représente évidemment le futur, mais je ne sais pas encore à quelle échéance. Il reste des limites technologiques, notamment au niveau de la résistance des pièces. Et je ne peux pas me permettre de consacrer trop de moyens à des essais. » A suivre donc… 

Petit scoop pour conclure : Dardenne et ses trente-cinq employés quitteront dans quelques mois leur implantation d’Heure-Le-Romain pour s’installer dans le zoning des Hauts-Sarts. Un tout nouvel atelier avec beaucoup plus de place « pour recommencer à croître après le coup de frein actuel. » C’est tout le mal qu’on leur souhaite… 

Arnaud COLLETTE

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