Le portrait du mois : Roger Cocle et Bertrand Herry, d’Any-Shape

Le portrait du mois : Roger Cocle et Bertrand Herry, d’Any-Shape

Active dans la fabrication additive, ou impression 3D, Any-Shape voit le jour en 2015. D’emblée, ses fondateurs, Roger Cocle et Bertrand Herry, placent la barre fort haut et ambitionnent d’être dans les années qui suivent l’un des leaders européens du secteurs. Depuis avril, Any-Shape est prestataire de rang un d’Airbus. Une belle reconnaissance… 

 

 

Any-Shape est l’histoire d’une rencontre. La rencontre entre Roger Cocle et Bertrand Herry à Cenaero, en 2008. Depuis cette époque, ils caressent l’envie de créer une société technologique, et passeront à l’acte en 2015 en créant Any-Shape, active dans l’additive manufacturing, ou fabrication additive, ou encore impression 3D. Mais n’allons pas trop vite…

 

Roger Cocle est originaire de Wavre, et poursuit naturellement ses études à l’UCL. Des études d’ingénieur civil mécanicien, dans la filière aéronautique, qu’il complète par un doctorat dans le domaine de l’aérodynamique externe à l’aube des années 2000. On est loin de la fabrication additive… « On en parlait peu à l’époque, même si le principe existe depuis le début des années 80, quand je suis né. Ma thèse, avec de nombreuses implications industrielles, reposait sur des collaborations avec des sites d’Airbus. La problématique de cette époque était celle du sillage de l’A380. C’était l’argument, poussé par Boeing, pour ne pas accueillir l’avion européen aux Etats-Unis… »explique Roger Cocle. 

 

Bertrand Herry présente un parcours à la fois similaire et différent. Complémentaire en fait. Français, il voit le jour en 1973, en Bretagne. Et il mène tout d’abord les mêmes études que son compère : diplôme d’ingénieur de grandes écoles françaises en génie civil, l’ESTP (Ecole spéciale des Travaux publics) à Paris et doctorat à l’Ecole normale supérieure de Cachan, toujours à Paris, en partenariat avec PSA, soit Peugeot-Citroën.« Je travaillais dans le domaine de la mécanique numérique. Sur une méthodologie de calcul pour la simulation des crashs automobiles. Le but était d’éviter des temps de calcul très longs quand on lance un calcul complet »précise Bertrand Herry. Mêmes diplômes, même implication concrète dans l’industrie. Mais le Breton ajoute une corde à son arc : un MBA à l’IAE (Institut d’Administration des Entreprises) de Paris, lié à la Sorbonne. « Je suis resté six ans et demi chez PSA. Dans les départements techniques pendant ma thèse, puis à la direction financière, au contrôle de gestion du département R&D. Par après, je suis devenu directeur adjoint d’une grosse PME dans l’agencement de surface pour le secteur tertiaire, basée à Paris, mais avec une large action internationale. A un moment, j’ai repris la filiale italienne. Il faut dire que j’avais passé deux ans en Italie lors de mes études »ajoute Bertrand Herry. 

 

C’est pour des raisons familiales que notre Français débarque en Belgique en 2007 : il y suit son épouse qui travaille dans une structure européenne. Il entre alors à la direction des projets européens de Cenaero, où travaille déjà Roger Cocle comme directeur commercial. Le courant passe bien entre les deux hommes, qui quittent le centre de recherche en même temps, en 2012. Roger Cocle rejoint Skywin ; Bertrand Herry le NCP. Les deux structures sont hébergées à l’Union wallonne des Entreprises, à Wavre. 

 

Reprendre ou créer une boîte ?

 

Le contact reste donc permanent. Et l’envie de se lancer vivace. « Nous avons d’abord cherché à reprendre une boîte. A un gérant de 60-65 ans qui aurait eu envie de se retirer. Une boîte à redynamiser. Nous n’avons jamais trouvé. Soit la situation financière était très difficile, soit toute l’entreprise reposait entièrement sur les épaules du gérant et le risque de perdre ses clients était bien réel »reprend Roger Cocle. Petit à petit germe l’idée de créer une entreprise dans la fabrication additive. « Nous nous rendions compte qu’il existait beaucoup d’activités sur l’additive manufacturing dans les centres de recherche ou les universités, mais qu’il n’y avait pas d’entreprises actives dans ce secteur. Bizarrement, aucun acteur privé n’est apparu malgré des études de marché plutôt positives sur le sujet... Les feux étaient au vert. Nous nous sommes lancés. Nous réalisions notre rêve : fonder une entreprise technologique en valorisant nos acquis tant en termes d’ingénierie qu’en contacts commerciaux »explique l’ex-deputy managing director Projects and training de Skywin. 

 

Any-Shape est créée en 2015. Autour de la table, deux acteurs privés et un invest public : la SRIW. « Pour notre premier tour de table, nous voulions des partenaires avec un passé d’engineering au sens large et non de purs financiers, car nous parlions d’une nouvelle technologie et que les temps de retour sont longs, surtout dans l’aéronautique et le spatial. Des financiers auraient voulu sortir du capital trop vite. Quant à la SRIW, le choix était dicté par notre business plan qui montrait qu’après notre décollage nous aurions besoin d’un acteur public solide pouvant facilement nous suivre dans notre développement. Nous ne nous sommes pas tournés vers les invests locaux, qui auraient pu convenir. C’était un choix à ce moment-là » développe Roger Cocle. Aux côtés des fondateurs qui détiennent chacun 25% des parts et de la SRIW avec ses 20%, on trouve ainsi Guy Janssens (GDTech) et Michel Tilmant (ex-Samtech) avec chacun 15%. 

 

Stabilité financière et chaîne de valeurs

 

Les deux amis ont une idée précise de leur entreprise : « une de nos exigences de départ était la volonté de garder la société saine financièrement, d’atteindre l’équilibre au plus vite. Et nous avons réussi. L’équilibre était atteint dès la deuxième année, en 2017. Et de nouveau l’année dernière. Alors que nos concurrents sont plutôt dans une logique d’investissements effrénés. »Ces concurrents se comptent sur les doigts des deux mains en Europe, essentiellement en France, en Allemagne, en Italie et en Angleterre.

 

Autre postulat de départ, la volonté d’être plus qu’un simple exécutant en fabrication additive… « La fabrication additive représente un changement complet de paradigme dans la manière de concevoir les pièces fonctionnelles et les ensembles structurels. Nous avons donc mis sur pied en interne un bureau d’engineering exclusivement dédié au ‘Design for Additive Manufacuring’ dans le but de co-concevoir avec nos clients de manière différente, en valorisant toutes les opportunités de la fabrication additive (liberté géométrique, absence de contraintes de fabrication, possibilité de fonctionnaliser les systèmes…). En aval de la production, nous assurons le contrôle qualité des pièces produites, tant du point de vue dimensionnel que santé matière, et nous proposons même des analyses plus poussées dans l’optique de garantir à nos clients la tenue des pièces en service. Ainsi, nous nous différencions de nos concurrents en couvrant l’entièreté de la chaine de valeur ‘Additive Manufacturing’ pour l'industrie : Conception - Production - Contrôle Qualité »reprennent des CEO’s qui ne manquent pas d’ambition, voulant créer un acteur de référence européen en Wallonie.

 

Et l’avenir ? « L’objectif aujourd’hui est de pouvoir effectuer des productions en série. Notre capacité de production est plus que correcte, mais nous ne pouvons pas encore assumer une grosse commande en série si elle arrivait. Nous devons être en mesure de répondre à des commandes portant sur des volumes et non des prototypes. Nous faisons déjà des séries. Des séries en plastique, quelques-unes en métal. Nous travaillons ainsi sur des pièces dont nous savons qu’il faudra en produire des centaines par an d’ici 2021 ou 2022. Nous devrons pouvoir répondre à ces demandes en respectant la qualité, les débits, les délais… Pour cela, nous devons agrandir l’équipe et acheter des machines. Mais actuellement, nous sommes dans des phases de prototypage, de qualification et de validation de pièces, qui sont en phase de test chez les clients. Puis nous lançons des préséries. »Aujourd'hui, Any-Shape occupe sept personnes sur cinq machines. 

 

Prestataire de rang un chez Airbus !

 

De par la formation et le passé professionnel de ses fondateurs, Any-Shape est principalement active dans les secteurs de la défense (un petit 50% de l’activité), de l’aérospatial (25%) et des transports, principalement la voiture (20%). Le reliquat concerne le biomédical, un secteur n’étant pas appelé à se développer à court terme, les CEO’s préférant se consacrer aux domaines qu’ils connaissent le mieux. Une preuve de ces compétences est l’entrée, annoncée début avril, dans le cercle fermé des prestataires de rang un pour Airbus. Excusez du peu… Plus précisément, la société liégeoise a remporté un appel d’offre pour le développement d'une nouvelle poudre d'aluminium à haute performance : l'aluminium-scandium (ou scalmalloy). 

 

Prestataire de rang un chez Airbus implique naturellement une certification solide… « Et bien non, sourit Roger Cocle. Nous ne disposons actuellement d’aucune certification. Airbus a mené trois audits dans l’entreprise et a décidé que notre système qualité lui convenait parfaitement, et qu’il pouvait avancer avec nous. Mais nous nous sommes engagés à obtenir la certification EN9100 au plus vite. Ce sera chose faite en septembre. »Entre le premier contact et la concrétisation de ce premier contrat, cela a pris plus d’un an et demi. « Il faut démonter sa valeur ajoutée. On a pu le faire en montrant toute la R&D et tous les développements que nous avons menés en interne, dans des programmes Skywin ou régionaux. Notre extrême rigueur et la valeur de notre équipe sont des avantages indéniables. De plus, la qualité de la pièce ne suffit pas ; il faut répondre à des besoins plus implicites » ajoute Bertrand Herry. 

 

La certification EN9100 devrait ouvrir encore quelques portes à Any-Shape, qui compte cependant déjà parmi ses clients des noms comme Safran France, Daimler, SNCF, PSA, Volvo ou AGC. Des collaborations commencent également avec Thalès et Sabca, après trois ans et demi d’approches. Bizarrement, ces clients se trouvent plus que principalement à l’étranger, nul n’étant prophète en son pays. Avec une exception notoire : « CMI nous a fait confiance très tôt. Et c’est très appréciable qu’un tel acteur nous fasse confiance »se réjouit Roger Cocle. 

 

Les chiffres d’exportation de l’entreprise illustrent parfaitement cet état de fait : en 2018, quelque 50% de la production prenait le chemin de l’étranger. Un chiffre qui croîtra largement en 2019. Pour ce faire, Any-Shape participe à des salons bien ciblés comme le Bourget à Paris, Formnext à Francfort ou encore le Salon du sport automobile de Cologne. En attendant de pouvoir participer à d’autres événements après l’engagement de collaborateurs supplémentaires. 

 

Arnaud COLLETTE

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